« L’histoire se fait avec des documents écrits… quand il y en a », disait Lucien Fèbvre. L’hôpital de Mormant n’en manque pas. Ses archives médiévales sont riches. Elles permettent de placer son origine à la fin du XIe siècle. Elles sont relayées ensuite, lorsque cette maison, après un court intermède templier, entre dans le patrimoine des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, par les dossiers de cette prestigieuse institution. Viennent enfin les procès-verbaux des visites faites aux XVIIe et XVIIIe siècles, époque où Mormant est devenu la principale commanderie du Grand Prieuré de Champagne. Alain Catherinet exploite (à travers le livre publié aux éditions Le Pythagore en 2013, ndlr.) avec clarté et de façon exhaustive cette riche documentation, qui permet non seulement de connaître les heurs et malheurs de cet hôpital à travers les siècles, mais aussi de s’introduire dans les lieux, d’en découvrir l’importance et d’en regretter la rapide dégradation.
Mais tout change pour l’historien comme pour le curieux du passé, lorsqu’aux textes peuvent s’ajouter les vestiges archéologiques. La vision devient alors plus aiguë et plus pertinente et le flou des descriptions faites par les anciens visiteurs s’efface devant la netteté des mesures et, plus généralement, du contact direct avec le monument. Or, au nombre des anciens bâtiments de Mormant, il subsiste, bien qu’en très mauvais état, une belle salle voûtée où furent accueillis et soignés au cours des siècles les voyageurs, les indigents et les malades qui s’aventuraient sur l’antique via Agrippa reliant la Grande-Bretagne à Rome. Aux temps mérovingiens ou carolingiens, on aurait parlé d’un xenodochium. Au XIe siècle, on parle d’une maison-Dieu. Il en subsiste dans les villes, généralement de date plus récente. Celle-ci a le rare privilège d’être très ancienne, rurale et localisée sur un grand chemin, toutes caractéristiques qui en font un rare et précieux témoin des oeuvres caritatives et donc sociales du passé.
En ville, les hôpitaux du Moyen Age sont aujourd’hui bien préservés. Les municipalités ont compris tout l’intérêt patrimonial de ce type de bâtiment. A Laon, dans les années quatre-vingt du siècle dernier, l’accord harmonieux d’un historien et d’un architecte en chef des Monuments historiques a permis l’heureuse mise en valeur du premier hôpital capitulaire sur le parvis de la cathédrale. Il est souhaitable que, pour cette rare maison-Dieu rurale de Mormant, semblable synergie se mette en place et que les autorités locales, départementales, régionales et même européennes concourent rapidement au sauvetage de la salle des malades et des annexes qui subsistent encore. Ce sera le grand mérite d’Alain Catherinet d’avoir provoqué ce sauvetage, qui s’avère absolument nécessaire si l’on ne veut pas avoir, dans quelques années, à déplorer la disparition d’un témoin aussi riche de la civilisation de nos ancêtres, donc de la nôtre.
Michel BUR
Membre de l’Institut
(Ce témoignage fait office de préface au livre « Histoire de la maison-Dieu du prieuré et de la commanderie de Mormant », édité aux éditions Le Pythagore et disponible à la vente en cliquant ici.)